Dame de fer
Valentine Ligny vient de fêter ses 111 ans et vit depuis deux ans seulement à la maison de retraite la Neuville. Cette femme de caractère est la doyenne des Hauts-de-France.

© Laurent Rousselin-Amiens Métropole
25.10.2017
JDA 854
Dans sa chambre de la maison de retraite La Neuville, Valentine Ligny se repose dans son fauteuil, la tête posée sur un ouvrage au crochet, fait de ses doigts de fée. « Elle n’a pas fait la sieste, elle voulait être belle pour la photo », s’excuse Nicole, sa fille aînée. « Elle est toujours coquette », ajoute en souriant Annick qui la coiffe depuis quarante ans. Car cette pimpante Amiénoise a soufflé le 22 octobre ses 111 printemps ! Doyenne des Hauts-de-France depuis mars dernier, seizième personne la plus âgée de l’Hexagone, cette supercentenaire est mère de trois filles, dont l’une est décédée l’été dernier, grand-mère six fois et treize fois arrière-grand-mère. À côté de son fauteuil trône une photo d’elle entourée d’une partie de cette belle lignée qui lui rend visite... de temps en temps. « Je suis la seule à Amiens », précise Nicole. Dévouée, cette fille aînée s’est résignée à la faire entrer en maison de retraite il y a deux ans. « Maman ne voulait pas mais ça devenait compliqué, elle se blessait souvent... » « Quand elle a visité notre établissement, madame Ligny a dit : “C’est moi qui décide et je repars chez moi !” » se souvient Pierre-Yves Motte, son directeur. Une force de caractère, secret de sa longévité ? « Maman sait ce qu’elle veut et a une santé de fer ! »
SOUVENIR DES GUERRES MONDIALES
Pourtant, la vie ne l’a pas épargnée. Née en 1906, à Avion dans le Pas-de-Calais, arrivée vers 5 ans à Amiens avec ses parents, cette cadette d’une fratrie de quatre enfants a traversé les deux guerres mondiales. Des souvenirs encore vivants. « Il y a six ans, elle est même descendue à Paris dans la classe d’une de ses arrière-petites-filles pour parler de 14-18, raconte Nicole. Les avions, les débuts de l’électricité, l’eau qu’elle allait chercher aux fontaines, le départ d’Amiens emmitouflés dans plusieurs couches de vêtements car ils ne pouvaient pas prendre de valise... » En 1940, c’est avec ses trois filles que Valentine Ligny évacue à Amboise (Indre-et-Loire) dans une charrette. « Nous avons été accueillies chez des vignerons. » Et puis la Libération, le retour à Amiens, celui de son mari aussi, fait prisonnier à la citadelle et qui reconstruira leur maison bombardée rue de Croÿ, à Saint-Acheul.
TOUTE SA VIE À SAINT-ACHEUL
Un quartier que Valentine n’a jamais quitté. En 1947, celui qui partage sa vie depuis 1933 décède à Cayeux « en sauvant de la noyade l’un de nos cousins, témoigne encore émue Nicole. Il avait 42 ans. Elle ne s’est jamais remariée ». Forte, Valentine poursuit son travail de comptable chez Boulogne jusqu’à 65 ans, élevant ses trois filles. « Ce n’était pas facile tous les jours, avoue Nicole. Il y avait son métier et nous. Elle voulait qu’on réussisse. » C’était une autre époque aussi. « Maman a du mal avec le monde actuel, les familles séparées, la mauvaise éducation... » Droite, fidèle, le dernier portrait de son défunt mari a récemment quitté sa maison de Saint-Acheul – que ses parents habitaient avant elle – pour habiller les murs de sa chambre. « Son mariage reste sans doute son plus beau souvenir. Elle en parle encore. » Une mémoire incroyable doublée d’un excellent appétit... L’autre secret de sa longévité ? À 18h30, une jeune femme lui glisse à l’oreille que la soupe est servie. Valentine déclare : « Allez ! » Et la voilà debout, prête à dîner !
//Coline Bergeon