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Verbatim de la conférence « Histoire et mémoire du 17 octobre 1961 à Paris »

En présence de Benjamin Stora, historien et professeur à l’université Paris-XIII ; Rachid Benzine, islamologue, politologue et auteur ; et Mounya Boudiaf, comédienne et metteuse en scène de « Née un 17 octobre ».

Conférence Benjamin Stora

22.10.2018

« Les récits historiques ne peuvent revenir que s’il y a des combats et des désirs politiques. Ce n’est pas parce que l’on écrit des livres d’histoire que, ça y est, nous connaissons la vérité. On peut écrire tous les livres d’histoire qu’on veut, si vous n’avez pas de mouvements citoyens, politiques, associatifs ou autres, la mémoire se perd dans des sables mouvants. L’important, c’est le relais de l’information. Il peut se faire aussi par le biais de la fiction, de l’écriture, du cinéma, du théâtre ; c’est un deuxième aspect qui fait revenir la mémoire. C’est-à-dire le détour par le romanesque. […] « Née un 17 octobre » participe de ce travail de mémoire, qui doit exister et être porté dans l’espace public, ce sont des choses très importantes. Tout ce travail politique, associatif, artistique a abouti à ce que cette date du 17 octobre 1961 soit maintenant connue dans l’espace public. La bataille la plus importante à mes yeux, c’est de transmettre cette histoire, dans sa complexité, dans sa cruauté et en particulier le fait qu’elle puisse s’écrire dans les programmes scolaires.  L’histoire de l’immigration a très peu de place dans les manuels scolaires, c’est une bataille compliquée mais essentielle. » Benjamin Stora

 

« La chose qui m’a vraiment touché dans le fait de transmettre cette histoire du 17 octobre c’est que j’ai moi-même, dans le cadre de ma cellule familiale, des manques par rapport à l’histoire, et des manques qui commençaient à vraiment créer de la colère, de la frustration, de la rage. Quand on posait des questions à la maison sur la guerre d’Algérie, sur octobre 1961 etc… on n’avait pas de réponse. J’ai mis très très longtemps à construire mon histoire française. Bizarrement, le jour où j’ai pu un peu connaitre mon histoire Algérienne, j’ai pu devenir française. Je me suis dit que la question de la transmission par rapport à octobre 1961 était importante et me touchait d’autant plus que quand je vois l’état des questionnements sur l’immigration aujourd’hui, là où on en est par rapport à la jeunesse, à la violence, je suis persuadée que l’on peut la réparer avec de l’histoire. L’histoire permet de poser des choses sur la table qui sont vraies, on peut se mettre d’accord, les faits sont les faits. En revanche le débat de peau et de religion, ce débat hystérique ne me parle plus. Je ne veux plus que l’on me parle de ma peau, je veux qu’on parle d’histoire. Le reste ne permet pas de se définir dans une laïcité, alors que l’histoire oui. » Mounya Boudiaf

 

« Ce qui m’intéressait moi, c’est la question de la transmission, c’est la question de la mémoire et c’est la question de l’histoire. Cette idée du récit familiale, c’est dire comment, lorsqu’on a une mémoire monumentale ou mémorielle, celle de l’état, on va venir rejoindre la mémoire intime ou l’espace familiale qui est d’abord le premier espace de mémoire et d’histoire. Par rapport à cela, quand cette histoire n’a pas été racontée, quand les pères se sont tus. J’ai un ami d’origine algérienne, qui est passé un peu par l’islamisme et les frères musulmans qui me dit à un moment « J’ai trouvé en l’Islam quelque chose que j’ai cherché parce que j’ai cherché une souffrance par procuration ». Et donc beaucoup de nos jeunes aujourd’hui sont dans cette souffrance là, qu’ils n’arrivent pas à dire parce que le récit national ne fait pas de place à cette histoire là, et le récit familiale qui n’est pas dit fait qu’il y a beaucoup de fantasme sur cette construction. […] Ce qui m’intéressait c’est comment parler de cette histoire de manière apaisée et apaisante ? Comment réécrire ce récit ? C’est pour ça que je me suis intéressé à ces trois générations. J’ai rencontré des gens pour travailler sur cette histoire qui avait fait le 17 octobre 1961 et je leur ai demandé : « pourquoi vous n’avaient pas raconté cette histoire à vos enfants ? » Un m’a dit « Parce que je ne voulais pas alourdir le cartable de mes enfants avec des pierres ». Ils voulaient qu’avec eux meurt cette histoire et cette souffrance. Le problème dans l’idée de la transmission, c’est qu’elle est asymétrique. Vous n’arrivez jamais à leur transmette ce que vous souhaitez leur transmettre, et vous leur transmettez parfois des choses de manière inconsciente. Et les jeunes sont aujourd’hui dans cette position là, on sent qu’il y a  réel malaise identitaire. Tant qu’il n’y aura pas cette expérience intime entre le vécu, cette manière d’avoir vécu un évènement et le politique, il manquera toujours quelque chose, me semble-t-il dans le récit commun qu’essaie de se raconter la société française. Faute d’histoire, on se raconte des histoires et ça fini par faire des histoires. C’est pourquoi l’histoire de l’immigration doit être intégrée dans le récit que se raconte la société française et qu’il y a urgence. Il y a en France un malaise identitaire et des jeunes qui sont en souffrance et à la recherche d’une souffrance par procuration parce que, tout d’abord, le passé n’a pas été raconté et parce qu’ils ont l’impression de vivre les discriminations et le racisme comme une prolongation de cette procuration de souffrance. » Rachid Benzine