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Fin mars 2001, la Somme sort de son lit. Plus de 100 communes concernées, 4 000 maisons touchées, 1 600 personnes évacuées… cette crue inédite de mémoire d’homme dure près de cent jours. Le souvenir perdure.

2001, qui l’eût cru ? © Bernard Maison - Amiens Métropole

31.03.2021

JDA 977

Sur son cabanon vert, René Nowak n’a pas effacé la trace blanche, celle du niveau atteint par l’eau en ce premier printemps du troisième millénaire : « Elle est montée à 1,12 mètre ! » Nous sommes fin mars-début avril 2001, les derniers poireaux et les premiers radis de ce maraîcher des hortillonnages sont alors engloutis. Sa femme Thérèse apparaît en pleurs dans un reportage de France 3 Picardie : on y voit le couple naviguer, impuissant, au milieu du désastre et de ce lac de 300 hectares que sont devenus les célèbres jardins sur l’eau amiénois. « On peut arrêter le feu mais pas l’eau », dit aujourd’hui en vieux sage René. Vingt ans après, Thérèse redevient vite à fleur de peau : « Tous les plants étaient prêts, les graines commandées. Comment allions-nous faire ? »

 

TOUT S’EST ACCÉLÉRÉ

La pluie n’avait cessé de l’hiver. « L’eau montait mais on se disait que ça s’arrêterait à un moment », se souvient l’hortillon. Au contraire, tout s’est accéléré. « C’était un mercredi, j’étais chez moi, revit Danièle Leturcq, présidente du comité de quartier La Vallée. Le téléphone a sonné : “L’eau monte rue de Verdun”. Dans ma cave, j’avais déjà 15 centimètres. » Les bonnes âmes affluent pour prêter main-forte. Les services municipaux fournissent des sacs de sable, l’entreprise de béton Sergent située rue de Verdun les parpaings. On rajoute des planches pour rejoindre les maisons. On crée des digues à la pelleteuse. « Nous allions rue de Verdun en barque, n’oubliera jamais Danièle Leturcq. À cette époque-là, je devais aller à Venise, j’ai fait mon baptême de gondole dans mon quartier ! »

 

ÉLAN DE SOLIDARITÉ

Même vingt ans après, le sourire est une arme pour évacuer la détresse. Certes Amiens a moins souffert qu’Abbeville ou Fontaine-sur-Somme. Il n’empêche : « Sur le chemin de Halage, des gens dormaient avec de l’eau sous leur lit ! » rapporte émue la présidente du comité de quartier dont les membres se relayaient auprès des sinistrés. « On apportait de l’eau, des couvertures et puis les baguettes et les pains au chocolat le dimanche matin. Les gens nous ouvraient leur porte comme si nous étions de la famille. C’est incroyable les liens qui se sont créés. » L’eau ne commencera sa décrue qu’en mai pour ne disparaître qu’en juin, laissant apparaître les moisissures. « Ce furent trois mois durs mais l’élan de solidarité nous a tous rempli le cœur », poursuit encore Danièle Leturcq. Son comité offrira une jardinière aux sinistrés. Un peu de gaieté dans des habitations dévastées. Cet hiver, quand l’eau a atteint des niveaux alarmants, l’inquiétude a rejailli. Car, même si Thérèse lance à son René : « Tu te rends compte ça fait vingt ans ! », 2001 c’était hier.

//Antoine Caux

 

En chiffres

  • 6 000 hectares inondés.
  • 4 000 maisons touchées.
  • 400 logements gravement endommagés.
  • 740 maisons évacuées.
  • 450 exploitations agricoles concernées.
  • 200 entreprises impactées.
  • 23 routes coupées.
  • 15 ponts détruits.
  • 200 M€ de dégâts estimés.

Données pour la Somme.

 

En dates

  • 1999 et 2000 Les hivers à forte pluie se répètent.
  • Février 2001 Précipitations 300 % supérieures à la normale.
  • Mars 2001 Vingt-six jours de pluie.
  • 17 mars La Somme déborde rue de Verdun.
  • 21 mars Cellule de crise à la préfecture de la Somme à Amiens.
  • 23 mars Les rivières de l’Ancre, l’Avre et la Noye ont débordé.
  • 26 mars La Somme recouvre le chemin de Halage.
  • 1er avril La rue de l’Agrappin à La Neuville est inondée.
  • 2 avril Les hortillonnages sont totalement sous l’eau.
  • 4 avril L’armée est réquisitionnée.
  • 6 avril La ligne de chemin de fer Amiens-Abbeville est fermée.
  • 10 avril Le Premier ministre Lionel Jospin est hué à Abbeville.
  • 14 avril Les militaires patrouillent et aident les sinistrés d’Amiens et de Camon.
  • 27 avril L’état de catastrophe naturelle est décrété.
  • Début mai La décrue s’amorce lentement.
  • 7 mai Les chemins de planches commencent seulement à être démontés.

 

2001, qui l’eût cru ? © Archives_municipales_Amiens_1Fi2063_4

La rue de Verdun (page de gauche et ci-dessous) a été l’une des artères les plus touchées par les inondations à Amiens.

© Archives_municipales_Amiens_1Fi2063_4

 

2001, qui l’eût cru ? © Bernard Maison - Amiens Métropole

© Bernard Maison - Amiens Métropole

 

// 30 M€ DE TRAVAUX

Il y aura eu un avant et un après inondations. L’après, c’est la création en 2002 du syndicat baptisé Ameva (pour Aménagement et valorisation du bassin de la Somme). Il rassemble collectivités et institutions liées au fleuve pour réaliser les études et coordonner les travaux. Son travail a permis de reconstruire douze ouvrages le long de la Somme en les redimensionnant, notamment à Saint-Valery où l’effet de vidage est passé de 104 mpar seconde en 2001 à 180 aujourd’hui, chassant ainsi beaucoup plus d’eau vers la mer le cas échéant. À Amiens, c’est la restauration du barrage et du bras du Pendu, près de l’écluse Saint-Maurice, qui permet de gérer le niveau et le débit de la Somme. À noter qu’un ouvrage à Montières est actuellement à l’étude.

 

 « LA SOMME : UNE CRUE DE NAPPE »

Les inondations de 2001 n’ont rien à voir avec les crues du sud de la France, lorsque l’eau des orages dévale des montagnes et sature les rivières des plaines. Ni même avec les débordements relativement fréquents de l’Oise pourtant à proximité. « Avec la Somme, nous sommes face à une crue de nappe », différencie Olivier Mopty, le directeur général de l’Ameva, syndicat mixte créé au lendemain des inondations à l’initiative du conseil départemental et qui réunit aujourd’hui 823 communes concernées par le fleuve Somme (y compris des communes de l’Oise et de l’Aisne). Sa première mission a été de comprendre le phénomène : « La nappe est comme un château d’eau que l’on a sous les pieds, schématise Olivier Mopty. Elle se recharge l’hiver. Or les hivers 1999, 2000 et 2001 ont été très pluvieux. Il faut imaginer une éponge gorgée qui affleure le sol dans tout le fond de vallée. On parle de 100 millions de mètres cubes d’eau entre Amiens et Abbeville à ce moment-là qui épousaient le sol. Dès lors, la pluie ne s’infiltre plus. Ça ruisselle, tout déborde. Et ça dure longtemps. »

 

2001, qui l’eût cru ? © Comité de quartier La-Vallée

© Comité de quartier La-Vallée

 

// LA RUMEUR FACE À L’INÉDIT

Il y avait eu la rumeur d’Amiens en 1970 quand on affirmait que des jeunes femmes disparaissaient dans les cabines d’essayage … En 2001, enfle la rumeur dite d’Abbeville quand le bruit court que les autorités auraient volontairement laissé s’inonder la Somme pour préserver Paris. On avance même que ce serait pour épargner le comité olympique qui devait visiter la capitale pour l’obtention des JO 2008… On pointe le déversoir d’Épénancourt en Haute-Somme le long du canal du Nord. Lequel a fonctionné… normalement. Lionel Jospin, alors Premier ministre, se fait conspuer quand il vient rencontrer les sinistrés abbevillois. Pourquoi cette fausse croyance a-t-elle prospéré, certains la défendant même toujours ? Olivier Mopty, de l’Ameva, tente de comprendre l’adhésion à la rumeur : « On n’avait jamais vu ça. Pas même les grands-parents ni les arrière-grands-parents n’avaient vécu de tels événements. Pourtant, aux XVIIIet XIXe siècles, on raconte bien que les habitants de Saint-Leu allaient se réfugier dans le clocher de l’église pour échapper à la montée des eaux… »