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Thierry Martin devait fêter sa retraite ce mois-ci mais fait l’actualité en cuisinant avec son équipe du Ad’hoc Café pour les étudiants et en témoignant avec son cuisinier guinéen sauvé d’expulsion.

Droit dans ses bocks © Laurent Rousselin - Amiens Métropole

10.02.2021

JDA 972

« J’ai lu que Twitter était le nouveau troquet. C’est faux. Dans un bar, quand quelqu’un dit une connerie, on lui ferme sa gueule. » Il a le verbe aussi fleuri que les chemises qu’il collectionne, caractéristiques comme son crâne, lisse. Thierry Martin est presque un élément du décor de la célèbre et pavée place du Don, au pied de la cathédrale, où se mêlent d’ordinaire touristes et étudiants. Là où il a fait de son bar-restaurant le Ad’hoc Café une adresse (re)connue depuis dix ans, après avoir créé My Goodness, que certains ont parfois plus fréquenté que les bancs de la fac, ou le Baobar. Ce sosie de l’ancien footballeur lyonnais Cris – surnommé le “Policier” –, on l’imaginait dur à cuire. C’est un grand cœur. Un gouailleur blagueur, un peu titi parisien qu’il a été d’ailleurs.

 

« ON N’EST RIEN SEUL »
Dans son Ad’hoc rendu bordélique par la situation sanitaire, ce flatteur-provocateur lance un bonjour enflammé à Mathilde et Allison, ses salariées qui viennent de reprendre l’affaire, ou à son chef Laurent, « la vraie star. On n’est rien seul. Moi, je ne suis qu’un branleur ». Ironique, sincère et puis tactile quand il caresse son zinc réalisé sur mesure ou nous montre chacune des plaques émaillées au mur, soigneusement chinées avec Allison. Cet amoureux de la bamboche et des vieilles bagnoles est cash : «On ne va pas se mentir, si on a une SARL, c’est pour faire du pognon ». Mais insiste : « La restauration, ce n’est pas de l’exploitation, c’est de l’amour ».

 

RETOUR DES CHOSES
On lui a dit que des étudiants crevaient la faim, il a crevé l’écran jusqu’au 20 heures de France 2 avec son idée de remplir les cœurs en remplissant les frigos. « Le plus dur dans notre métier, c’est l’inactivité. Or les étudiants ont besoin de bouffer… » Un problème, une solution. « En tant que patron, j’ai bénéficié de la solidarité. À notre tour d’être solidaires. » Les denrées arrivent de partout. De supermarchés, de fournisseurs… « Je suis surpris, ça marche tout seul. » Le moral repart en flèche : « On bosse, on se sent utile ». Avec cette conviction que des bons plats dans le frigo ne réconfortent pas que l’estomac. Un juste retour des choses qu’il dit avec ses mots : « Les étudiants m’ont bien nourri ».

 

BISTROQUET
Son aplomb dissimule de mauvaises nuits. La pandémie, la fermeture. Et puis l’image que renvoient certains collègues dans les médias. Il démonte ce restaurateur niçois qui a ouvert malgré l’interdiction et exposé son cuisinier ivoirien désormais sous la menace d’une obligation de quitter le territoire. « J’ai pas les mots… » Télescopage : Thierry Martin était fin janvier dans Libération avec Mamadou, un Guinéen à qui il a permis de passer un CAP de cuisinier et pour qui le restaurant s’est porté garant quand il a fallu trouver un logement. « Certains font croire que les réfugiés viennent ici pour devenir délinquants… Quand Mamadou te raconte son histoire, t’as envie de pleurer. » En filigrane, on lit ses fêlures. « Je ne suis pas né patron, j’ai été cassos. De cette pauvreté qui fait mal physiquement. » Ce « cancre qui manquait de surveillance » a arrêté l’école à 15 ans. « Je crois à l’ascenseur social de la petite entreprise. » Son métier – « bistroquet » – l’a réalisé. Sans le mettre à l'abri de drames. On le découvre pudique. « Ce qui compte, c'est l’amour », a-t-il en boussole. Mamadou, Allison ou ses quatre enfants en témoignent.

//Antoine Caux