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Attention, buzz. Après un article du Figaro, le maire d’Amiens Brigitte Fouré publiait une vidéo demandant à Madonna le prêt d’un de ses tableaux qui pourrait être celui disparu au Musée d’Amiens durant la Première Guerre mondiale. Le doute est permis mais le coup médiatique réussi. Le JDA a tenté d’en savoir plus.

tableau

24.01.2023

L’histoire a tout de suite eu de la gueule sur le papier. Le papier, ce fut celui du Figaro. Il était question de chef-d’œuvre, de Madonna, d’Amiens. Le tout drapé dans un contexte de vol, d’enquête et de mythologie. N’en jetez plus pour faire le buzz. Dans son édition du 10 janvier, Le Figaro publiait un article intitulé Du musée d’Amiens au salon de Madonna, enquête sur un mystérieux tableau. Un article repris dans la revue de presse de France Inter qui a presque fait avaler son café de travers à la rédaction du JDA, éberluée par cette savoureuse révélation. Car voilà que la machine médiatique s’emballait. La presse reprenait l’information qui devenait bientôt virale lorsque Brigitte Fouré s’adressait directement à la Madone pour lui demander le prêt du fameux tableau au nom d’Amiens, candidate au titre de Capitale européenne de la culture 2028. 

Connaissez-vous le mythe de Diane et Endymion ? Diane, fille de Zeus associée à la lune (à l’opposé de son jumeau, Apollon, dieu du soleil) est follement amoureuse du jeune berger Endymion, le plus beau des mortels selon la mythologie. Elle l’aime tant qu’elle demande à son père de donner à son bien-aimé la jeunesse éternelle. Zeus obtempère en plongeant le bellâtre dans un sommeil éternel. Diane peut ainsi l’admirer sans limite.  

 

Ce mythe, avec lequel on expliquait les nuits sans lune (nuits durant lesquelles Diane partait retrouver son amour endormi) fut chéri des peintres. En 1817, la peinture néoclassique est à son apogée, Louis XVIII au pouvoir, et Jérôme-Martin Langlois se voit commander cette allégorie du désir féminin, destinée au salon de Diane à Versailles. Présenté et applaudi en 1822, l’impressionnant tableau de 3,20 m de haut sur 2,11 m de large voyage : Versailles, le musée du Luxembourg, le Louvre puis Amiens à partir de 1873 quand on constitue les collections du tout jeune Musée de Picardie. 

 

Jusqu’ici, tout va bien. Jusqu’à 1914. La Guerre éclate, les obus pleuvent, Amiens souffre, les œuvres finissent par être évacuées. Mais, « au moment où l’on rapatrie toutes les toiles, on ne retrouve pas le Langlois, rapporte aujourd’hui François Séguin, conservateur aux musées d’Amiens. Il est réputé détruit en 1918 ». Certaines sources évoquent même une absence des catalogues du musée dès 1911, le mystère déjà. Mais une rumeur vite balayée. Non, Diane et Endymion étaient encore là à la déclaration de guerre.

1,3 million de dollars

 

1989, c’est un autre mythe qui fait son entrée en scène : Madonna. En cette année où la terre entière se déhanche sur Like a Prayer, le Diane et Endymion ressurgit. Un galeriste parisien déniche une version ni signée ni datée contrairement au modèle amiénois. Le Louvre, propriétaire de l’original, est contacté. L’expertise confirme qu’il ne s’agit pas du ”Langlois d’Amiens”. Dont acte. Une exposition est même organisée pour venir l’admirer juste avant que cette trouvaille non identifiée ne traverse l’Atlantique. Feu vert des autorités. Direction les enchères à New York où la Madone, en pleine gloire, l’achète pour 1,3 million de dollars, « une somme incroyable pour cette époque », précise le conservateur. La déesse des charts le fait d’ailleurs savoir : les années 1980 et leur démesure.

 

2015. Madonna est toujours superstar. Son treizième album Rebel Hearts sort. Et son nom résonne dans un endroit insoupçonné : le commissariat d’Amiens. « Je vous laisse imaginer la tête des policiers », sourit huit ans plus tard Olivia Voisin, alors conservatrice aux musées d’Amiens. Mais l’histoire est moins romanesque que Le Figaro ne le laisse entendre. Non, Olivia Voisin ne découvre pas la toile chez Madonna en tombant accidentellement sur un article de Paris Match qui aurait fait apparaître Diane et Endymion dans l’intérieur de la star. « C’est un tableau que tout le monde connaît dans le milieu de l’art. Tout le monde sait qu’il est chez Madonna, nuance celle qui dirige aujourd’hui le Musée des Beaux-Arts d’Orléans. C’est juste qu’en préparant le dossier, quelqu’un, ami d’un grand fan de Madonna, est venu avec des coupures de presse dont les photos d’un vieux Paris Match. On y voyait en effet le tableau à côté d’autres de Frida Kahlo notamment, devant un escalier magistral dans une grande villa à Malibu. » Voilà pour l’anecdote.

madonna

DR

En ce jour de 2015, Olivia Voisin, au nom du Musée de Picardie, ne dépose pas plainte contre la chanteuse mais contre X. Surtout, la plainte ne vise pas spécifiquement le Langlois, le nom de Madonna est juste glissé dans la discussion. La plainte concerne plusieurs œuvres disparues ou volées au moment de leur mise à l’abri pendant la Première Guerre mondiale. Durant ses trois années en tant que conservatrice à Amiens, Olivia Voisin aura déposé deux autres plaintes élargies à plusieurs disparitions. Des plaintes encouragées par le ministère de la Culture. Elles relancent ou accélèrent les recherches en faisant apparaître les œuvres dans les bases d’Interpol et facilitent les éventuelles restitutions.

 

Une intime conviction

Récemment, deux reliefs sculptés datant du XVIe siècle de l’église de Molliens-Dreuil, mis aux enchères par une salle des ventes, ont été restitués à la commune, lesquels ont ensuite été mis au dépôt au Musée de Picardie. « Nous ne savions même pas que ces pièces avaient disparu, il n’y a jamais eu de plaintes mais, un jour, nous avons été contactés par la Drac (Direction régionale des affaires culturelles, ndlr) qui avaient trouvé ces reliefs juste avant leur mise aux enchères, se remémore Sylvain Charbonnier, le maire de Molliens-Dreuil. Nous avons choisi de les confier au Musée de Picardie qui offre de bien meilleures conditions d’accueil que l’église de Molliens-Dreuil. » L’affaire est réglée. Concernant le Diane et Endymion, Le Figaro parle d’une « affaire au point mort ». François Séguin commente : « Ce n’est pas que l’affaire est au point mort, c’est qu’il n’y a pas lieu qu’elle avance ». Officiellement, le Louvre a acté qu’il ne s’agissait pas de l’original : pas de signature, pas de date et aussi, l’absence d’un arbre qui figure pourtant sur une gravure d’interprétation (sorte de mini-version de l’œuvre crayonnée que possède la BnF), un arbre qui devrait apparaître sur le tableau disparu. Mais en est-on sûr ? Il n’existe aucune photo du tableau exposé à Amiens. 

 

Restent donc des doutes : « A-t-il vraiment été détruit ? Les photos du pavillon d’angle montrent un seul mur démoli sur les quatre. Or la vingtaine d’œuvres de la pièce ont disparu », calcule Olivia Voisin. Reste, enfin, une intime conviction : « Il y a des choses troublantesLe tableau est immense et cette version a les mêmes dimensions ou presque. Pourquoi avoir fait un deuxième grand format identique alors que le premier était une commande ? » Et si l’histoire officielle retient qu’il a été détruit par les bombardements, l’ancienne conservatrice souligne : « Rien ne disparaît plus qu’un grand format. Ils sont roulés, emballés, rangés. À Amiens, on a retrouvé des grands formats de la cathédrale d’Arras qui avaient disparu en 1918… »

 

L’histoire est croustillante. Si procédure de restitution il y avait, ce serait au Louvre, propriétaire de l’œuvre, de la lancer. Les restitutions sont fastidieuses, et les saisies interdites aux États-Unis. Mais rien n’empêche Madonna d’entendre l’appel d’Amiens pour un prêt en vue de la ville au titre de Capitale européenne de la culture 2028. Quoiqu’il arrive, la chanteuse ne sera jamais inquiétée. Comme Endymion, la Madone peut dormir sur ses deux oreilles.

 

 

Antoine Caux